Laurence & Friends
Info

JEU-RITE-JEU


    Iseult Perrault,
    Nicolas Ponce.

HIT, Rue des Amis, 1201, Genève 

09.09–16.10.20



JEU-RITE-JEU
© Lucas Olivet


A quelques bornes de la frontière, les carrières du Salève alimentent les constructions environnantes depuis tou- jours. Elles contribuent à la fois à l’élaboration et à la détérioration du paysage genevois, puisque le gravas extrait et transformé en structures habitables laisse du côté français un trou béant bien visible depuis la ville. Cavité gé- néralement qualifiée de verrue par les Genevois.
        Iseult Perrault et Nicolas Ponce s’intéressent ici à la question du paysage et de ses ruines. Le limon du Salève, ici soigneusement réarrangé après son déplacement, souligne différents niveaux d’artifices et de sacralisation liés au paysage. L’espace proposé par les deux artistes reprend l’idée d’une rythmique visuelle maniérée, largement étudiée lors de la conception d’un jardin. Une recherche d’équilibre voué à la représentation artificielle d’un milieu naturel. Les espaces appelés « verts », tels que les parcs et les jardins, n’atteignent par essence jamais totalement ce qu’ils sont supposés dépeindre mais constituent un rôle important dans l’imagerie collective. Dans ces espaces organiques architecturés, l’idée même de nature est inhérente à un point de vue choisi et dessiné par des indivi- dus. Ici les chemins proposés sont sans issue et l’ouvrage semble avoir été interrompu avant sa finalisation. La présence humaine, pourtant soulignée par un maniérisme évident, a probablement déserté les lieux depuis peu, laissant place à de mystérieux habitants.


JEU-RITE-JEU
© Lucas Olivet


        Les limaces d’Iseult Perrault interviennent comme activateurs: éminemment artificielles elles soulignent l’aspect paradoxal des objets présents, indiquant au spectateur qu’il peut aisément se méfier de l’apparence organique des éléments. En effet si la construction du présent biotope est clairement artificielle, certains de ses composants le sont aussi puisque vraies et fausses plantes cohabitent discrètement au sein du même paysage. Les limaces sont aussi les cousines sans coquille donc sans maison de l’escargot. Elles sont alors les habitantes idéales de la ruine et du paysage en transition. Généralement considérées comme nuisibles, Iseult Perrault leur attribue ici un statut quasiment noble et esthétique. Uniques protagonistes, elles apportent une légitimité à l’existence de ce jar- din sans issue. Les têtes de saumon tentent de réactiver un passé plus éloigné et interviennent quasiment comme fossiles. Elles fonctionnent davantage comme témoins que comme activateurs.


JEU-RITE-JEU
© Lucas Olivet


        Les vidéos de Nicolas Ponce sont la partie émergente d’un processus mis en place dans son travail. Etudiant, sans grande possibilité de déplacement, il trouve des stratégies pour visiter des paysages ou des scènes urbaines qu’il collectionne ensuite. Les vidéos de constructions proviennent de caméras piratées par l’artiste. Elles l’intéressent non pas pour leur dispositif de surveillance, mais pour leur accessibilité et leur quantité à travers le monde. Elles créent un rapport intimiste entre le sujet trouvé de manière aléatoire sur internet et le regardeur. Les vidéos de plantes rapprochent cette fois le spectateur du cameraman, les sujets filmés devenus anecdotiques témoignent simplement d’un trajet dans un paysage et de sa captation. Le privilège du spectateur devient alors questionnable puisqu’il ne concerne plus le sujet de la vidéo mais l’artiste qui l’élabore.
        « jeu-rite-jeu » est un module dramaturgique mentionné dans un écrit de Piero Gilardi sur la créativité collective. Un processus d’expériences théâtrales induit par l’addition des trois mots: un leitmotiv. L’aspect collectif est in- téressant bien évidemment mais l’aspect partition produit par la rythmique visuelle et auditive des mots nous intéresse ici davantage. Gilardi insiste sur la valeur essentiellement ludique du terme « jeu ». Il y a dans cette heu- reuse combinaison une tentative de ritualisation qui se solde par un échec « ludique ». Ou au contraire une mise à l’horizontale de deux termes apparemment paradoxaux mais en réalité tout à fait identiques. L’espace créé par les deux artistes intervient aussi comme partition, un espace scénique proche de la ruine et du sanctuaire en attente d’une quelconque action.

        Laurence Favez


JEU-RITE-JEU
© Lucas Olivet